Chomsky le libertaire
L’anarchie recouvre beaucoup de choses différentes. Mais il y a un courant au sein de l’anarchie qui est l’héritage direct du libéralisme classique, qui s’efforce de défendre la liberté et la démocratie contre le capitalisme. Ces courants anarchistes s’efforcent de proposer des formes d’organisation susceptible d’aider les gens à multiplier les fruits de la liberté.
Les anarchistes ont toujours été attachés à un principe fondamental : toute forme d’autorité, de hiérarchie, doit être remise en question et doit prouver son bien-fondé. Il n’y a pas d’auto-justification qui tienne. Cela vaut aussi bien pour les relations entre les parents et les enfants, les hommes et les femmes, dans le monde du travail ou entre les Etats. Il faut repérer toutes les formes d’autorité et les sommer de ce justifier.
Certaines ont un bien-fondé. Ainsi, les relations entre une mère et son enfant sont de nature autoritaire. Mais toute forme d’autorité qui ne peut prouver son bien-fondé est illégitime, et on est en droit de la renverser. C’est vrai à tous les niveaux, des relations individuelles aux relations internationales. A mon avis, tel est l’apport essentiel de la pensée anarchiste. Il vient tout droit des luttes populaires, des Lumières.
Noam Chomsky, " Deux heures de lucidité ", les arènes.
LA PROPAGANDE
Tout l’art de la propagande consiste à donner aux gens le sentiment qu’ils sont impuissants, isolés, coupés les uns des autres. En fait, pour l’industrie de la publicité et de la propagande commerciale en générale, le monde idéal serait un monde fondé sur deux éléments : d’abord la télévision, chacun devant son poste, coupé des autres, voire de sa famille ; ensuite, pour autant que cet idéal puisse être approché, que les gens ne constituent plus une menace pour les riches et les privilégiés, de sorte qu’il n’y ait pas de " crise de la démocratie " au sens où l’entendent les élites. Les gens ne s’occuperaient que de leur propre petite vie, des choses superficielles de l’existence, comme les objets de consommation à la mode. Ils seraient " spectateurs ", et non " acteurs ", dans l’élaboration de la politique à tous les échelons : local, sur les lieux de travail et au-delà.
Périodiquement, ils auraient le droit de confirmer les élites dans leur pouvoir, mais le reste du temps ils devraient laisser la conduite des affaires du monde à ceux qui s’autoproclament des " hommes responsables ". Soulignons-le une fois de plus : ce ne sont pas là les idées de groupes extrémistes, mais celles d’une large fraction des élites à travers tout l’échiquier politique.
Noam Chomsky, " Deux heures de lucidité ", les arènes.
LA DEMOCRATIE
L’Europe s’imagine qu’elle a des intellectuels engagés, mais la réalité est bien différente, à quelques exceptions près. Quand il y a eu des progrès, ils sont venus non pas des intellectuels, mais d’abord et surtout des forces populaires, et bien souvent des organisations de la classe ouvrière.
Ainsi dans les années 60, il y a eu un grand mouvement de contestation un peu partout dans le monde : en Europe, aux Etats-Unis, au Japon… Les élites libérales (au sens américain du terme) et les élites sociales-démocrates se sont alarmées. C’est sur cette toile de fond qu’est née la commission trilatérale, dont les membres sont recrutés parmi ces élites. On y trouvait de grands dirigeants d’entreprise, des responsables politiques et des intellectuels aussi bien américains, européens que japonais. Ils se reconnaissent dans un libéralisme internationaliste, un peu comme les adeptes de la " Troisième voie ". Les membres de l’administration Carter, par exemple, venaient presque tous des rangs de la Trilatérale, y compris Carter lui-même. Peu après sa création, à l’initiative de David Rockeffeler, cette organisation a publié un livre important, " La Crise de la démocratie ", reprenant les actes d’une conférence de la Trilatérale. Le rapporteur français était Michel Crozier ; l’Américain, Samuel Huntington ; et le Japonais, Joji Watanuki. Selon eux, il y avait " crise de la démocratie " parce que dans les années 60, les citoyens des pays représentés dans la Trilatérale avaient tenté d’entrer dans l’arène publique. Les couches de la population censées demeurer apathiques – les femmes, les jeunes, les minorités, la population toute entière avaient voulu intervenir dans le débat politique sur la base de leur propre programme.
Si vous êtes naïfs, vous croyez que c’est justement cela, la démocratie. Mais si vous êtes un tant soit peu lucide, vous savez qu’il s’agit d’une crise de la démocratie. C’est ce qu’ils appellent un " excès de démocratie ". Pour surmonter la crise, ils ont appelé à une plus grande modération de la démocratie. La vraie démocratie ne pouvait revenir qu’à condition que les citoyens redeviennent passifs et apathiques.
Le rapporteur américain, Huntington, a eu ce commentaire passablement nostalgique : " Trutman a pu gouverner le pays avec l’aide d’une poignée d’avocats et de banquiers de Wall Street. " Ils étaient particulièrement inquiets de l’échec des institutions chargées de " l’endoctrinement des jeunes " : l’école, l’université, les églises ne faisaient pas leur travail. Elles ne leur inculquaient pas la passivité.
A vrai dire, c’est à ce moment-là qu’a commencé l’assaut contre la démocratie sous la forme du néo-libéralisme, avec le transfert du pouvoir aux grandes entreprises, le démantèlement de l’Etat-Providence… Le tout a été accompagné d’une intense propagande. Bien entendu, ce n’est pas la Trilatérale qui a décidé de cet assaut. Sa réaction n’était qu’une manifestation parmi d’autres des inquiétudes qui y ont conduit. D’où leur coïncidence dans le temps.
Noam Chomsky, " Deux heures de lucidité ", les arènes.
Entre la plume et l’enclume http://www.plumenclume.net/textes/2007/chomsky150507.htm
EPOK EPIK http://info-veille-biotech.typepad.com/epokepik/2007/10/chomsky-et-comp.html
Noam Chomsky http://www.positiverage.com/interview/chomsky.html
Sur la nature humaine http://www.mollat.com/livres/noam-chomsky-sur-nature-humaine-9782930402178.aspx
la-bas.org http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=1181