Depuis
quelque quatre-vingts ans, et plus précisément depuis 1922, date où
la Grande-Bretagne reçut en charge, de la part de la Société des
Nations, un Mandat sur la Palestine à la suite de la défaite des
empires centraux, depuis 1947 surtout, date où l'ONU scinda le pays
pour y créer deux États, l'un juif, l'autre arabe, il ne s'est
guère passé de jour sans que les journaux ne nous apportent une
information relative à cette région du Proche-Orient où
s'affrontent de façon ininterrompue et plus ou moins violente deux
communautés : les Juifs d'une part, les non-Juifs d'autre part, ces
derniers étant représentés avant tout par des Arabes musulmans.
Les
informations n'ont donc pas manqué sur ce sujet. Pourtant, une
fraction notable des Occidentaux, notamment dans l'élite intellectuelle et politique, est comme indifférente au drame
quotidien qui se joue en Palestine. Un phénomène banal
d'accoutumance et de lassitude en est sûrement une raison notable,
mais plusieurs éléments sont venus néanmoins y contribuer
puissamment.
Le
premier élément favorable au développement de l'idéologie
sioniste et de sa méconnaissance par le grand nombre est sans doute
représenté par un phénomène passif : le " trop plein "
ou " l'excès " de mémoire dont parle Paul Ricœur dans un
récent ouvrage ("La Mémoire, l'Histoire, l'Oubli") et qu'il
dénonce d'une manière générale... Après le cataclysme de
1939-1945, bien plus encore qu'après la guerre de 1914-1918, les
études des historiens ne pouvaient qu'être monumentales, fort
nombreuses et prolongées. À ces études sont venues s'ajouter
logiquement les multiples commentaires et interprétations des
politiques et puis, bien sûr, les interventions diverses des
polémistes et des partisans : une " montagne " de mémoire
en est résultée que les médias de notre époque, notamment la
télévision, nous livrent chaque jour. Indépendamment des
perspectives et des intentions diverses qui sous-tendent cette
information constante et multiforme, la place forcément éminente
qu'occupe le génocide des Juifs par les nazis, et partant l'émotion
suscitée, ont manifestement joué de façon exceptionnelle en faveur
de l'entreprise sioniste, d'abord en faisant négliger la très
importante littérature juive formellement opposée à son projet
territorial et en supprimant toute réflexion prospective quant aux
risques pour l'avenir d'un État spécifiquement " juif ",
ensuite en voilant la réalité de son présent sur le terrain.
À
côté de ce premier phénomène, on peut affirmer d'autre part
aujourd'hui que l'information relative au Proche-Orient en provenant
majoritairement d'une source, juive en la circonstance, a été
gravement déformée, que l'interprétation des événements a été
terriblement partiale et injuste pendant de nombreuses années ( «
la mémoire sioniste a régné aux dépens de celle des Palestiniens
» écrit l'historien israélien Ilan Pappé), bref que la
méconnaissance des données du problème est la principale cause de
cette indifférence de l'opinion publique occidentale qui n'a
manifestement pas pris la mesure de la gravité potentielle des "
événements " qu'on lui rapporte chaque jour depuis tant
d'années.
Il
est d'ailleurs remarquable de constater que - à côté de la
multiplicité des informations rapportées en la matière - les
commentaires et les jugements que l'on peut voir dans la Presse
française émanant de journalistes ou d'hommes de lettres sont fort
rares. Il est patent aussi que beaucoup de commentateurs non-Juifs
apparaissent souvent comme mal à l'aise dans leur rédaction...
Quant aux Juifs, religieux ou non, leur situation souvent ambiguë
face à Israël, la mauvaise conscience que nombre d'entre eux ont de
ne pas y vivre, de ne pas avoir fait leur « aliya » malgré les
multiples et pressantes invitations reçues, les rend souvent
terriblement aveugles et silencieux. Bien que non enfermé dans une
tour d'ivoire, Lévinas expliquait ainsi : « Je m'interdis de parler
d'Israël, ne courant pas cette noble aventure et ce risque quotidien
» tandis qu'ÉlieWiesel a pu écrire : « Je ne critique jamais
lsraël hors d'Israël, c'est le prix que j'accepte de payer pour ne
pas y vivre ». Et, a-t-on jamais entendu, par exemple, un rabbin
français ou une organisation d'obédience juive dénoncer la torture
utilisée en Israël et, fait unique au monde, légalisée ?
Enfin,
il faut bien voir que le judaïsme comme les autres traditions
religieuse, entreprises humaines par excellence, contient des
éléments potentiellement pervers qu'il s'agit de reconnaître. Le
fameux « Qui n'est pas avec moi est contre moi » évangélique
n'est-il pas à la base de tous les totalitarismes après avoir
entraîné le christianisme dans de folles aventures ?
Bref,
il est clair que nombre d'observateurs, ou bien n'ont pas intégré,
à propos du sionisme, de nombreuses données d'ordre historique ou
religieux, ou bien ne se sont pas comportés en hommes libres, à
l'instar d'hommes éminents comme J.P. Sartre quand il écrit : « Je
ne peux pas soutenir la politique de l'État d'Israël, mais je ne
peux pas non plus m'élever contre elle car alors je me retrouverais
dans le camp détestable des antisémites ».
Je
dois reconnaître que j'éprouve quelque aversion pour de telles
paroles...
Il
reste que Jean d'Ormesson a du moins osé, en terminant un article du
Figaro, formuler il y a quelques années une interrogation simple et
pertinente : " Et si la création de l'État d'Israël avait été
une erreur ? " À cette interrogation, ma réponse personnelle -
qui semble bien être aussi celle que suggère le texte - est "
oui " sans hésitation. Une mémoire manipulée jointe à une
absence de liberté des hommes politiques et, d'une manière
générale, des hommes ayant quelque influence sur l'opinion
publique, ont manifestement contribué au développement de
l'idéologie sioniste qui s'est épanouie avec la création de l'État
d'Israël et qui ne cesse d'étendre chaque jour - face à une
communauté internationale sidérée - ses maléfices dans les
populations juives et non-juives de la Palestine.
L'idéologie sioniste
L'idéologie
sioniste, avec le mouvement qu'elle a suscité, s'est donné pour
mission de rassembler en Palestine tous les Juifs dispersés depuis
deux mille ans à travers le monde (Juifs de la diaspora), d'établir
un territoire peuplé exclusivement de Juifs, dans la perspective de
leur assurer, compte tenu des persécutions dont ils furent souvent
victimes, une sécurité définitive. Bien que précédée
d'initiatives diverses qui, au cours des siècles, avaient pour but
une ré-appropriation de la Palestine, elle ne s'est vraiment
structurée qu'à la fin du XIXe siècle avec Théodore Herzl. Elle
s'est développée pendant la première moitié du XXe siècle malgré
l'opposition prolongée de la grande majorité des Juifs et, à la
faveur de la seconde guerre mondiale, s'est concrétisée avec la
création de l'État d'Israël en Palestine.
Le
sionisme repose sur deux données fondamentales et conjointes du
judaïsme : - une
donnée d'ordre religieux :
le mythe biblique de la " Terre promise " à un "
Peuple élu ", - une
donnée d'ordre légal :
la loi établissant la " race " juive. À ces données il
convient d'associer : - les
écrits xénophobes du judaïsme.
1
- Le mythe
biblique de " la Terre promise " et du " Peuple élu "
est le premier pilier de l'idéologie sioniste
Selon
ce mythe, les Hébreux et leur dieu, Yahvé, ont élaboré, voici
quelque trois mille ans, un contrat (l'Alliance) selon lequel les
Hébreux, moyennant obéissance à ce dieu, constituent son peuple
privilégié, le Peuple élu, et reçoivent en héritage une terre
particulière, la Terre promise.
C'est
sur les données de ce mythe fondamental du judaïsme qu'est bâtie
tout entière l'idéologie sioniste et que s'est fondé le "
droit historique " sur la Palestine. Même les sionistes non
religieux et athées, tels les Pères fondateurs et la majorité des
Israéliens actuels, ont exploité et exploitent toujours ce mythe
originel de la Terre promise par un dieu qui, pourtant, n'existe pas
pour eux. Il ne faut pas être surpris de cet apparent paradoxe...
C'est que, comme tous les mythes, celui-ci ne possède pas seulement
une dimension religieuse mais une dimension culturelle. Malgré
l'émergence dans les esprits de son caractère légendaire, il n'en
continue pas moins à imprégner durablement la civilisation qui l'a
porté, à meubler son imaginaire collectif et, partant, à mobiliser
des énergies colossales et aveugles. André Chouraqui , qui fut
conseiller de Ben Gourion, ne nous dit-il pas que " la Torah est
le livre de l'Alliance du ciel et de la terre " et qu'"Israël
est devenu objectivement le peuple de l'Alliance" compte tenu
qu'il y a en Israël des juifs, des chrétiens et des musulmans ?
À
noter que ce mythe de l'Alliance conclue entre un dieu et un peuple -
comme les autres mythes hébreux (la Création, le Paradis terrestre,
le Péché originel...) - a été adopté aussi par les chrétiens
qui seront à la fois complices et victimes de l'idéologie sioniste.
À noter en particulier que les chrétiens millénaristes des
États-Unis voient toujours la naissance de l'État d'Israël et son
expansion territoriale comme une étape nécessaire aux projets de
Dieu pour l'humanité avec in fine la conversion des Juifs au
christianisme et le retour de Jésus le Messie dans sa parousie !
À
propos de ce mythe fondateur il est intéressant d'évoquer ce qui
semble bien représenter une récente et fabuleuse découverte. Selon
Messod et Roger Sabbah , des chercheurs juifs, le peuple hébreu ne
serait autre que le peuple égyptien d'Akhet-Aton, la capitale du
pharaon monothéiste Akhenaton ! Quand on a mesuré les gigantesques
conséquences que la croyance au mythe de la Terre promise a
entraînées dans l'Histoire, notamment depuis un siècle avec le
mouvement sioniste et si, par ailleurs, on suit l'hypothèse très
vraisemblable de divers historiens contemporains selon lesquels les
Juifs du Maghreb seraient des Berbères judaïsés à l'époque
romaine tandis que les musulmans de la Palestine arabe seraient des
Juifs convertis à l'islam dans les premiers temps de la conquête,
comment ne pas parler des conséquences abyssales où peuvent
conduire les illusions humaines !
2
- La loi rabbinique de transmission héréditaire de la judéité
Alors
que les adeptes de la plupart des religions n'ont que le lien d'une
croyance commune, et que ce caractère d'adepte est accessible à
tous, le judaïsme établit un lien particulier d'ordre héréditaire.
Fait rare dans l'Histoire de l'humanité, la naissance est le vrai
critère d'appartenance : la loi établit, en effet, que le caractère
de juif est transmis par le sang maternel. Ce caractère est de plus
indélébile : même en cas d'apostasie du judaïsme ou de mariage
mixte (qui équivaut à une apostasie), tout sujet reste juif selon
le Talmud. (À noter que pour l'Église aussi, tout au moins en
Espagne du XVe au XVIIIe siècles, un juif baptisé reste un juif,
c'est-à-dire un " fils de Satan ").
Certes,
la Loi fondamentale de l'État d'Israël, conformément à la loi
juive, prévoit des apports étrangers par conversion ( " est
considérée comme juive une personne née d'une mère juive, ou
convertie ") mais les conditions exigées concrètement sont
telles - notamment celle de pratiquer les 613 commandements de la
Torah - que, sauf exception, un goy ne devient pas juif. À noter que
le terme de goy qui fut appliqué initialement aux chrétiens,
ensuite à tous les étrangers, s'apparente à celui de goujat (en
hébreu, goja désigne une servante chrétienne).
Il
convient d'ajouter que ce marquage par le sang institué par la loi
de transmission héréditaire de la qualité de juif se trouve
complété et aggravé par un marquage dans la chair : la
circoncision. Dans le judaïsme, en effet, la circoncision n'est pas
seulement la pratique d'un autre âge - malgré les tentatives de lui
donner une justification médicale au siècle dernier - elle revêt
une signification précise : c'est le signe de l'Alliance éternelle
d'un individu avec Yahvé le dieu de la mythologie hébraïque. Le
judaïsme va ainsi comporter, par rapport aux autres traditions
religieuses, une dimension qui lui est pratiquement spécifique : la
dimension raciale. Désormais cet enfant qui vient de naître comme
juif ne sera plus - quelles que soient ses futures options
spirituelles - tout à fait libre : les séquelles de son sexe mutilé
lui rappelleront chaque jour de sa vie qu'il fait partie d'une "
race " à part, qu'il n'est pas comme les autres (à moins qu'il
se voie " normal " et qu'il voie les autres " anormaux
").
Alors
que, comme le dit le philosophe israélien Y. Leibowitz , " la
notion de "juif" n'était à l'origine ni raciale, ni
nationale mais religieuse ", une évolution s'est produite : la
condition raciale (l'hérédité) est nécessaire et suffisante pour
être juif et citoyen d'Israël, la condition religieuse (la
croyance) absolument facultative. Quant à J. C. Attias , après
avoir constaté que nombre de juifs " n'observent plus le shabat
", " s'habillent comme tout le monde ", que " les
traits discriminants dont l'histoire les avait affublés sont en
train de disparaître ", il dit de son côté qu '" il ne
reste plus que la race " comme élément distinctif entre un
Juif et un non-Juif, cette race qui se transmet par la femme malgré
son statut inférieur à celui des hommes, ceux-ci se réservant la
transmission du savoir et des valeurs du judaïsme.
Les
écrits xénophobes du judaïsme
Alors
que nombre d'écrits du judaïsme comportent une dimension
universaliste hautement respectueuse de l'étranger " N'humilie
pas l'étranger, ni l'opprimé, car vous avez été étrangers en
Égypte ! N'humilie jamais la veuve ni l'orphelin " (Exode,
XXII, 20) ; " N'aie aucune pensée de haine pour ton frères Tu
aimeras ton prochain, il est comme toi " .... " Tu aimeras
l'étranger qui s'installe chez toi comme toi-même " (Lévitique
XIX, 17-18 et 34) ; " Ma maison sera une maison de prière pour
tous les peuples " (Isaïe VXI, 7), alors que le monothéisme
intransigeant du judaïsme a puissamment contribué à promouvoir
l'égalité entre les hommes tous créés à l'image de Dieu et à
susciter la générosité qui a pu guider les pionniers du
socialisme, les sionistes ont occulté délibérément ces données
pour ne retenir que celles qui exaltent l'ethnocentrisme et où le
non-Juif, qu'il soit étranger ou résidant en Israël, est toujours
un gentil, un goy.
Découlant
directement du mythe et de la loi raciale instituant le peuple juif
comme un peuple différent des autres et séparant les hommes en
Juifs et non-Juifs, bien des écrits émanant du judaïsme, notamment
du Talmud, sont venus conforter les sionistes dans leur entreprise de
retour en terre de Palestine et d'accaparement de cette terre au
bénéfice des seuls Juifs....
"
Tu n'auras pas d'autres dieux face à moi " dit Yahvé aux
Hébreux (Ex XX, 3). Et à ce dieu exclusif s'adresseront les
supplications et prières de son peuple : " Dieu ! si tu voulais
massacrer l'infidèle ! Hommes sanguinaires, éloignez-vous de moi...
Seigneur, comment ne pas haïr ceux qui te combattent ? Je les hais
d'une haine parfaite, ils sont devenus mes propres ennemis (Ps 139,
19-22). " Par ta fidélité tu extermineras mes ennemis et tu
feras périr tous mes adversaires, car je suis ton serviteur "
(Psaume 143, 12).
Ainsi
parle le Seigneur Dieu : " Aucun étranger, incirconcis de cœur
et incirconcis de chair, n'entrera dans mon sanctuaire, aucun
étranger qui demeure au milieu des fils d'Israël " (Ez. 44,
9).
Le
Deutéronome précise le sort qu'il convient de réserver aux
idolâtres : " Si ton frère, fils de ta mère, ou ton fils ou
ta fille ou la femme que tu serres contre ton cœur, ou ton prochain
qui est comme toi-même, vient en cachette te faire cette proposition
: "Allons servir d'autres dieux" - ces dieux que ni toi ni
ton père vous ne connaissez, parmi les dieux des peuples proches ou
lointains qui vous entourent d'un bout à l'autre du pays - tu
n'accepteras pas, tu ne l'écouteras pas, tu ne t'attendriras pas sur
lui, tu n'auras pas pitié, tu ne le défendras pas ; au contraire,
tu dois absolument le tuer. Ta main sera la première pour le mettre
à mort, et la main de tout le peuple suivra ; tu le lapideras, et il
mourra pour avoir cherché à t'entraîner loin du Seigneur ton Dieu.
" (Deut. 13, 7-11).
Yahvé
n'est pas tendre pour les opposants à son peuple : " Je vais
punir Amalec de ce qu'il a fait à Israël en s'opposant à lui quand
il remontait d'Égypte. Va maintenant, tu battras Amalec et vous
vouerez à l'anathème tout ce qui est à lui : tu n'auras pas pitié
de lui et tu mettras à mort hommes et femmes, enfançons et
nourrissons, bœufs et moutons, chameaux et ânes " (Samuel XV,
2-3).
Et
puis, n'est-il pas écrit dans la Torah : " qu'Israël vivra en
solitaire et ne se confondra pas avec les nations " (Nombres,
23, 94) ? N'est-il pas défendu à un Juif de boire du vin versé par
un non-Juif ou d'épouser une non-Juive ? N'est-il pas dit que le
Juif religieux doit, chaque matin, bénir Dieu de l'avoir créé Juif
et non autre ? N'est-il pas écrit, dans la Halakha, qu'un Juif peut
transgresser le Shabbat pour sauver la vie d'un autre Juif, mais non
de celle d'un non-Juif ?
N'est-il
pas prescrit au Juif pratiquant de prononcer chaque matin les paroles
de la prière du Shaharit : " Béni soit l'Éternel qui ne m'a
pas fait goy, Béni soit l'Éternel qui ne m'a pas fait femme. Béni
soit l'Éternel qui ne m'a pas fait esclave " ?
N'étaient-ils
pas dans leur droit ces Hébreux emmenés par Josué lorsque, comme
le recommande la Torah, ils ont exterminé les populations de Canaan
lors de la conquête de la Terre promise : " Vous chasserez
devant vous tous les habitants du pays car c'est à vous que je le
donne à titre de possession... Si vous ne dépossédez pas à votre
profit tous les habitants, ceux que vous aurez épargnés seront
comme des épines dans vos yeux et vous harcèleront sur le
territoire que vous occuperez " (Nombres, 35, 53-55)
Et
dans le psaume 137, n'est-il pas prévu de " broyer sur le roc
les bébés de Babylone " ?
Dans
la Bible, on lit aussi : " Lorsque le Seigneur ton Dieu t'aura
fait entrer dans le pays et qu'il aura chassé devant toi les nations
nombreuses, tu les voueras totalement à l'interdit (Deut. VII, 1-2)
" et tu les supprimeras. " (Deut. VII, 24).
"
Qu'Israël se réjouisse en son Créateur, que les enfants de Zion se
réjouissent en leur Roi [...] Qu'ils chantent pour la joie sur leurs
couchettes ! Que les louanges élevées vers Dieu ne quittent pas
leurs gorges et que les sabres à deux pointes ne quittent pas leurs
mains, afin de faire descendre la vengeance dévastatrice sur les
nations et le châtiment sur les peuples " (Psaume 149).
Le
grand mystique juif Moshe Luzzatto (1706-1746) intégrera
parfaitement ces données : " Dans le monde à venir,
affirme-t-il sans ambages, aucune nation n'a de place à l'exception
d'Israël ".
À
ce propos, Schattner rapporte une donnée tout à fait
caractéristique d'une certaine évolution de l'éthique juive. Alors
que dans une version ancienne de la Mishna il est dit : " Qui a
détruit une vie a détruit tout un monde et qui a sauvé une vie a
sauvé tout un monde ", les versions imprimées ultérieurement
sont devenues : " Qui a détruit une vie au sein d'Israël a
détruit tout un monde et qui a sauvé une vie en Israël a sauvé
tout un monde ". Le rabbin Ginburg de la yeshiva du tombeau de
Joseph (près de Naplouse) vient confirmer cette donnée devenue
banale dans les milieux religieux sionistes quand il affirme qu'"
une vie juive vaut beaucoup plus qu'une vie non juive ".
Le
" sol ", le " sang " et les écrits xénophobes,
tels sont les trois piliers fondamentaux du sionisme. Mais ce sont
aussi de riches ingrédients politiques. Puisés dans l'héritage
religieux du judaïsme, sécularisés et habilement présentés, ils
vont guider dans un ethnocentrisme exacerbé toute l'entreprise
sioniste.
Si
nous parlons du sionisme nous ne méconnaissons pas le fait que cette
idéologie s'exprime sous des nuances très diverses. On a pu
distinguer notamment :
- le sionisme politique - celui qui est lié à
Theodor Herzl - et pour qui l'obtention des droits politiques était
le préalable indispensable pour promouvoir un État en Palestine ;
-
le sionisme religieux visant non seulement à obtenir la liberté
politique des Juifs mais à restaurer la religion à la lumière de
la Thora et de ses commandements. Aux deux piliers du sionisme que
sont le sol et au sang, les religieux ajoutent Yahvé ;
- le sionisme
socialiste qui se proposait d'opérer la fusion entre sionisme et
socialisme. Il inspira de nombreux kibboutzim et suscita divers
mouvements de jeunesse. - le sionisme pragmatique axé sur les moyens
pratiques de réaliser les objectifs du sionisme : l'immigration
(l'Aliya), le peuplement des zones rurales en priorité pour occuper
le maximum de terrain et les institutions éducatives.
À
noter que ces nuances permettent avant tout de prendre conscience de
la formidable organisation dont les divers composants (socialistes,
religieux, libéraux, fascistes, nationalistes...) peuvent diverger
sur les moyens à mettre en œuvre mais sont tous tributaires du
mythe de l'Alliance et de la loi fondant la judéité, avec comme
objectif commun à la fois simple et précis : la conquête de la
Palestine historique considérée comme terre éternelle du peuple
juif.
André
Gaillard, Le
sionisme en Palestine-Israël.