Monday, September 15, 2014

L'innocence des musulmans



L'innocence des musulmans est un « film créé pour jeter de l'huile sur le feu », affirme l'animateur de Radio Libre Expression dont l'analyse n'est pas dénuée d'intéressantes réflexions, notamment sur les croyances religieuses et l'au-delà.

Le film est coproduit par un copte égyptien Nakoula Basseley Nakoula, alias Sam Bacile (?), et des évangélistes de la mouvance extrémiste du pasteur Terry Jones. Le réalisateur est un auteur de films pornographiques nommé Alan Roberts.

L'innocence des musulmans permet aux fondamentalistes, comme les Wahhabites et les salafistes, de passer à l'action. Ils se sont rassemblés illégalement à Paris, pratiquement sous les fenêtres de l’Élysée.

Pour Ian Hamel, journaliste spécialiste du terrorisme et des services secrets, le wahhabisme et le salafisme ont un objectif commun : l'assaut du monde musulman.

« Le wahhabisme est un dogme musulman spécifique apparu au XVIIIe siècle dans la péninsule Arabique. C'est une variante d'une des quatre écoles juridiques reconnues chez les musulmans sunnites, l'école hanbalite, considérée comme la plus rigoriste et la plus puritaine. Parmi les trois autres écoles juridiques, le rite hanafite prédomine dans l'ancien l'Empire ottoman, dans les républiques musulmanes d'Asie centrale, ainsi qu'en Inde. Le rite malakite est, lui, implanté dans le Maghreb et en Afrique occidentale. Tandis que les shafi'ites sont majoritaires en Asie, et les hanbalites en Arabie Saoudite.

Le wahhabisme est un islam intransigeant. Lorsqu'en 1924 Ibn-Séoud, ardent défenseur du wahhabisme, s'empare de La Mecque, il fait détruire les tombes des Hachémites, descendants du Prophète (et grands rivaux des Séoud), sous prétexte qu'il est interdit de révérer quiconque autre que Dieu, même pas le Prophète. Peu après, le roi rase la tombe d 'Ève à Djedda pour « mettre fin aux superstitions ». Toutefois, les partisans de cette secte refusent le mot « wahhabite ». Ils s'appellent eux-mêmes Muwahhidun (Unitariens).

C'est Ibn Abd Al-Wahhab (1703-1792) qui fonde ce mouvement politico-religieux dans la région du Nadjd, le centre désertique de la péninsule. « Il a ensuite conquis toute l'Arabie jusqu'aux confins du Golfe, grâce à l'alliance indéfectible, conclue vers les années 1744-1745, avec Ibn saoud "au nom de Dieu et de son prophète". C'est le pacte de Nadjd », résume Hamadi Redissi, professeur à la faculté de droit de Tunis . C'est la version islamique du sabre et du goupillon.

Le chef de tribu Mohamed Ibn Séoud, ancêtre et homonyme du futur roi d'Arabie Saoudite, donne sa fille à marier au théologien Ibn Abd Al-Wahhab, la condamnant à une ascèse extrême. La jeune épouse se voit interdire la musique, la poésie, le port de la soie, la sculpture, et même le rire.

Le marché passé entre le guerrier impitoyable et le prédicateur illuminé se résume ainsi : les Séoud imposent le wahhabisme sur leurs territoires et, « en échange, les wahhabites garantissent l'obéissance des fidèles au pouvoir ». Le puritanisme extrême se double d'un conservatisme tout aussi inébranlable.


Deux siècles plus tard, en 1932, lors de la création de l'Arabie Saoudite, le pacte de Nadj est toujours en vigueur. Les mœurs et la religion sont immuables. Ibn-Séoud confine ses sujets dans leurs traditions : « Il interdit les films et la musique de jazz sur toute l'étendue de son territoire. Il demanda aux directeurs américains de ne pas embaucher de Juifs », raconte Jacques Benoist-Méchin . Néanmoins, les oulémas (docteurs de la loi musulmane) les plus conservateurs jugent Ibn-Séoud encore trop progressiste. L'automobile, l'avion, le téléphone, la radio, sont tout de même des inventions sataniques... Les châtiments corporels s'appliquent toujours. On continue à couper la main des voleurs. Sous la pression des Américains, le roi tolère que le sabre du bourreau soit désinfecté, et que le moignon, après l'amputation, soit badigeonné au Mercurochrome. Le 3 août 2005, quand les grands oulémas prêtent serment d'allégeance au nouveau roi Abdallah, sixième monarque de la dynastie, c'est Abdelaziz Al-Cheikh, grand mufti et descendant d'Ibn Abd Al-Wahhab, qui conduit la délégation.

Dans Les Filles de Riyad, un roman interdit en Arabie Saoudite, traduit en français en 2007, la Saoudienne Rajaa Alsanea, vingt-cinq ans, installée à Chicago, aborde le sujet sensible des relations entre les filles et les garçons. Lamis et Ali, sans liens de parenté et non mariés, commettent l'impensable : ils se retrouvent ensemble dans un café. Ils sont aussitôt arrêtés par la brigade pour la prévention du vice et la protection de la vertu. Quelques heures d'interrogatoire plus tard, des responsables de la brigade alertent le père de Lamis et l'informent que sa fille « était à présent en état d'arrestation [...] et qu'il fallait qu'il vienne la chercher après avoir signé une déclaration selon laquelle il s'engageait à ne pas la laisser recommencer à porter atteinte aux bonnes mœurs ». Quant à Ali, « son châtiment serait autrement plus dur ». Pour la brigade, Ali est un « hérétique », car il est... chiite.»

L'Arabie Saoudite, précise Ian Hamel, « avec des comités de la commanderie de la vertu et de l'interdiction du vice, composés de mutawaa (contrôleurs des mœurs), qui interviennent à tout instant dans la vie quotidienne, on y est fouetté si l'on oublie l'une des cinq prières quotidiennes, si on ne respecte pas le jeûne du ramadan, si le voile féminin laisse échapper une mèche de cheveux. Les femmes demeurent mineures à vie, n'ont ni papiers d'identité ni permis de conduire, et doivent obtenir le consentement de leurs tuteurs avant d'être hospitalisées (dans ce dernier cas, la situation vient juste de changer, une femme peut dorénavant décider seule d'entrer en clinique). [...]

Les Frères musulmans apparaissent moins sectaires, plus pragmatiques, plus politiques que les wahhabites. Mais existe-t-il une différence fondamentale entre eux ? Pas vraiment. Ce sont des salafistes, des adeptes d'une doctrine religieuse qui s'inspire exclusivement des textes juridiques des pieux ancêtres (salaf sâlih) : les oulémas des premiers siècles de l'islam et les compagnons du Prophète . Selon eux, l'islam a connu à cette époque une gloire et un rayonnement inégalés. Pour retrouver cet âge d'or, il faut revenir à l'islam des origines, et faire table rase de toutes les évolutions novatrices. Frères musulmans et wahhabites font du Coran et de la Sunna (la vie du Prophète) une lecture fondamentaliste, voire littéraliste. Tout effort d'interprétation fondé sur la raison humaine est « perçu comme une altération du message religieux qui doit exclusivement se référer, selon la tradition salafiste, à la raison divine », souligne Dominique Thomas, spécialiste des questions islamistes et du Proche-Orient. »

Ian Hamel