L'innocence
des musulmans est un « film créé pour jeter de l'huile
sur le feu », affirme l'animateur de Radio Libre Expression
dont l'analyse n'est pas dénuée
d'intéressantes réflexions, notamment sur les croyances
religieuses et l'au-delà.
Le film
est coproduit par un copte égyptien Nakoula Basseley Nakoula, alias
Sam Bacile (?), et des évangélistes de la mouvance extrémiste du
pasteur Terry Jones. Le réalisateur est un auteur de films
pornographiques nommé Alan Roberts.
L'innocence
des musulmans permet aux fondamentalistes, comme les Wahhabites
et les salafistes, de passer à l'action. Ils se sont
rassemblés illégalement à Paris, pratiquement sous les fenêtres de l’Élysée.
Pour Ian
Hamel, journaliste spécialiste du terrorisme et des services
secrets, le wahhabisme et le salafisme ont un objectif commun :
l'assaut du monde musulman.
« Le
wahhabisme est un dogme musulman spécifique apparu au XVIIIe siècle
dans la péninsule Arabique. C'est une variante d'une des quatre
écoles juridiques reconnues chez les musulmans sunnites, l'école
hanbalite, considérée comme la plus rigoriste et la plus puritaine.
Parmi les trois autres écoles juridiques, le rite hanafite prédomine
dans l'ancien l'Empire ottoman, dans les républiques musulmanes
d'Asie centrale, ainsi qu'en Inde. Le rite malakite est, lui,
implanté dans le Maghreb et en Afrique occidentale. Tandis que les
shafi'ites sont majoritaires en Asie, et les hanbalites en Arabie
Saoudite.
Le
wahhabisme est un islam intransigeant. Lorsqu'en 1924 Ibn-Séoud,
ardent défenseur du wahhabisme, s'empare de La Mecque, il fait
détruire les tombes des Hachémites, descendants du Prophète (et
grands rivaux des Séoud), sous prétexte qu'il est interdit de
révérer quiconque autre que Dieu, même pas le Prophète. Peu
après, le roi rase la tombe d 'Ève à Djedda pour « mettre fin aux
superstitions ». Toutefois, les partisans de cette secte refusent le
mot « wahhabite ». Ils s'appellent eux-mêmes Muwahhidun
(Unitariens).
C'est
Ibn Abd Al-Wahhab (1703-1792) qui fonde ce mouvement
politico-religieux dans la région du Nadjd, le centre désertique de
la péninsule. « Il a ensuite conquis toute l'Arabie jusqu'aux
confins du Golfe, grâce à l'alliance indéfectible, conclue vers
les années 1744-1745, avec Ibn saoud "au nom de Dieu et de son
prophète". C'est le pacte de Nadjd », résume Hamadi Redissi,
professeur à la faculté de droit de Tunis . C'est la version
islamique du sabre et du goupillon.
Le chef
de tribu Mohamed Ibn Séoud, ancêtre et homonyme du futur roi
d'Arabie Saoudite, donne sa fille à marier au théologien Ibn Abd
Al-Wahhab, la condamnant à une ascèse extrême. La jeune épouse se
voit interdire la musique, la poésie, le port de la soie, la
sculpture, et même le rire.
Le
marché passé entre le guerrier impitoyable et le prédicateur
illuminé se résume ainsi : les Séoud imposent le wahhabisme sur
leurs territoires et, « en échange, les wahhabites garantissent
l'obéissance des fidèles au pouvoir ». Le puritanisme extrême se
double d'un conservatisme tout aussi inébranlable.
Deux
siècles plus tard, en 1932, lors de la création de l'Arabie
Saoudite, le pacte de Nadj est toujours en vigueur. Les mœurs et la
religion sont immuables. Ibn-Séoud confine ses sujets dans leurs
traditions : « Il interdit les films et la musique de jazz sur toute
l'étendue de son territoire. Il demanda aux directeurs américains
de ne pas embaucher de Juifs », raconte Jacques Benoist-Méchin .
Néanmoins, les oulémas (docteurs de la loi musulmane) les plus
conservateurs jugent Ibn-Séoud encore trop progressiste.
L'automobile, l'avion, le téléphone, la radio, sont tout de même
des inventions sataniques... Les châtiments corporels s'appliquent
toujours. On continue à couper la main des voleurs. Sous la pression
des Américains, le roi tolère que le sabre du bourreau soit
désinfecté, et que le moignon, après l'amputation, soit badigeonné
au Mercurochrome. Le 3 août 2005, quand les grands oulémas prêtent
serment d'allégeance au nouveau roi Abdallah, sixième monarque de
la dynastie, c'est Abdelaziz Al-Cheikh, grand mufti et descendant
d'Ibn Abd Al-Wahhab, qui conduit la délégation.
Dans Les
Filles de Riyad, un roman interdit en Arabie Saoudite, traduit en
français en 2007, la Saoudienne Rajaa Alsanea, vingt-cinq ans,
installée à Chicago, aborde le sujet sensible des relations entre
les filles et les garçons. Lamis et Ali, sans liens de parenté et
non mariés, commettent l'impensable : ils se retrouvent ensemble
dans un café. Ils sont aussitôt arrêtés par la brigade pour la
prévention du vice et la protection de la vertu. Quelques heures
d'interrogatoire plus tard, des responsables de la brigade alertent
le père de Lamis et l'informent que sa fille « était à présent
en état d'arrestation [...] et qu'il fallait qu'il vienne la
chercher après avoir signé une déclaration selon laquelle il
s'engageait à ne pas la laisser recommencer à porter atteinte aux
bonnes mœurs ». Quant à Ali, « son châtiment serait autrement
plus dur ». Pour la brigade, Ali est un « hérétique », car
il est... chiite.»
L'Arabie Saoudite, précise Ian Hamel, « avec des comités de la
commanderie de la vertu et de l'interdiction du vice, composés de
mutawaa (contrôleurs des mœurs), qui interviennent à tout
instant dans la vie quotidienne, on y est fouetté si l'on oublie l'une des cinq prières quotidiennes, si on
ne respecte pas le jeûne du ramadan, si le voile féminin laisse
échapper une mèche de cheveux. Les femmes demeurent mineures à
vie, n'ont ni papiers d'identité ni permis de conduire, et doivent
obtenir le consentement de leurs tuteurs avant d'être hospitalisées
(dans ce dernier cas, la situation vient juste de changer, une femme
peut dorénavant décider seule d'entrer en clinique). [...]
Les
Frères musulmans apparaissent moins sectaires, plus pragmatiques,
plus politiques que les wahhabites. Mais existe-t-il une différence
fondamentale entre eux ? Pas vraiment. Ce sont des salafistes, des
adeptes d'une doctrine religieuse qui s'inspire exclusivement des
textes juridiques des pieux ancêtres (salaf sâlih) : les oulémas
des premiers siècles de l'islam et les compagnons du Prophète .
Selon eux, l'islam a connu à cette époque une gloire et un
rayonnement inégalés. Pour retrouver cet âge d'or, il faut revenir
à l'islam des origines, et faire table rase de toutes les évolutions
novatrices. Frères musulmans et wahhabites font du Coran et de la
Sunna (la vie du Prophète) une lecture fondamentaliste, voire
littéraliste. Tout effort d'interprétation fondé sur la raison
humaine est « perçu comme une altération du message religieux qui
doit exclusivement se référer, selon la tradition salafiste, à la
raison divine », souligne Dominique Thomas, spécialiste des
questions islamistes et du Proche-Orient. »
Ian
Hamel