Monday, September 15, 2014

Niqab, turban & vêtement traditionnel



« Sous mon niqab » est un récit, écrit par Zeina, une jeune française née en France, élevée au sein d’une famille musulmane traditionnelle dans une banlieue banale. Pendant des années Zeina s'est soumise. « Sous son niqab, elle avait peur de se révolter. Hantise des coups, angoisse du déshonneur, terreur de l'Enfer dont la menaçaient les « sœurs » de la mosquée depuis qu'elle était enfant », précise Djéname Kareh Tager, la mystérieuse journaliste qui a utilisé le témoignage de Zeina pour faire paraître « Sous mon niqab. Je l'ai enlevé au péril de ma vie », livre salué par la critique islamophobe.

Toutefois, dans sa postface, Zeina écrit ceci :

« Un jour, mon enfant était déjà au lit, j'ai eu envie de prier. J'étais seule, j'ai éteint la télévision, j'ai ressorti mon jilbab de l'armoire, je l'ai porté, j'ai prié. Par décision personnelle, sans qu'on me le demande, sans qu'on m'y force. Ce n'était pas une corvée, mais un besoin : il me fallait remercier Allah pour Ses bienfaits, Le remercier d'avoir toujours été à mes côtés, même quand je Le soupçonnais de m'avoir tourné le dos. C'est ce que me disaient mes parents quand j'étais au fond du gouffre, quand j'étais avec mon mari, à l'époque je ne les croyais pas. Pourtant, combien ils avaient raison! Après la prière, j'ai replié mon jilbab, j'ai remis mon jean. J'ai prié le lendemain aussi : le matin avant d'aller au travail, le soir pour compléter toutes les autres prières que je n'avais pas effectuées durant la journée. Et tous les jours qui ont suivi. J'ai prié comme une vraie croyante, observante de la lettre du Coran qui nous dit clairement : La ikraha fil din, « Il n'y a pas de contrainte en religion ».

Pour comprendre le besoin de Zeina de revêtir son jilbab, il ne faut pas oublier ce que représente le vêtement traditionnel :

« Le turban — a dit le Prophète — est une frontière entre la foi et l'incroyance », et encore : « Ma communauté ne déchoira pas tant qu'elle portera des turbans »; on cite également les ahâdith suivants « Au Jour du Jugement, l'homme recevra une lumière pour chaque tour de turban (kawrah ) autour de sa tête »; « Portez des turbans, car vous gagnerez ainsi en générosité. » Ce que nous voulons relever ici, c'est que le turban est censé conférer au croyant une sorte de gravité, de consécration et aussi d'humilité majestueuse ; il le retranche des créatures chaotiques et dissipées, — les « errants » (dâllûn) de la Fâtihah, — le fixe sur un axe divin — la « voie droite » (eç-çirât el-mustaqîm) de la même prière — et le destine ainsi à la contemplation; en un mot, le turban s'oppose comme un poids céleste à tout ce qui est profane et vain. Comme c'est la tête — le cerveau — qui est pour nous le plan de notre choix entre le vrai et le faux, le durable et l'éphémère, le réel et l'illusoire, le grave et le futile, c'est elle qui doit porter la marque de ce choix; le symbole matériel est censé renforcer la conscience spirituelle, comme c'est le cas, du reste, de toute coiffure religieuse ou même de tout vêtement liturgique ou simplement traditionnel. Le turban « enveloppe » en quelque sorte la pensée, toujours prête à la dissipation, à l'oubli et à l'infidélité ; il rappelle l'emprisonnement sacré de la nature passionnelle et déifuge. La Loi coranique fait fonction de rétablissement d'un équilibre primordial perdu, d'où ce hadîth : « Portez des turbans et distinguez-vous par là des peuples (« déséquilibrés ») qui vous ont précédés. »

(La haine du turban, comme celle du « romantique », du « pittoresque », du « folklorique », s'explique par le fait que les mondes « romantiques » sont précisément ceux où Dieu est encore vraisemblable ; quand on veut abolir le Ciel, il est logique de commencer par créer une ambiance qui fait apparaître les choses spirituelles comme des corps étrangers ; pour pouvoir déclarer avec succès que Dieu est irréel, il faut fabriquer autour de l'homme une fausse réalité, qui sera forcément inhumaine, car seul l'inhumain peut exclure Dieu. Ce dont il s'agit, c'est de fausser l'imagination, donc de la tuer ; la mentalité moderne, c'est le plus prodigieux manque d'imagination qui se puisse imaginer.)

Quelques mots sur le voile de la femme musulmane s'imposent ici. L'Islam tranche sévèrement entre le monde de l'homme et celui de la femme, entre la collectivité totale et la famille qui en est le noyau, ou entre la rue et le foyer, comme il tranche aussi entre la société et l'individu et entre l'exotérisme et l'ésotérisme ; le foyer — comme la femme qui l'incarne — a un caractère inviolable, donc sacré. La femme incarne même d'une certaine façon l'ésotérisme en raison de certains aspects de sa nature et de sa fonction ; la « vérité ésotérique » — la haqîqah — est « sentie » comme une réalité « féminine », comme c'est aussi le cas de la barakah. Le voile et la réclusion de la femme sont du reste en rapport avec la phase cyclique finale que nous vivons — et où les passions et la malice dominent de plus en plus — et présentent une certaine analogie avec l'interdiction du vin et le voilement des mystères. »

Frithjof Schuon