Il
nous faut répéter avec insistance que le terrorisme international
ne doit jamais être considéré comme un phénomène sociologique
surgi spontanément et directement de l’oppression et de la misère.
Le terrorisme international et les mouvements de libération
nationale sont toujours relayés par un certain niveau d’organisation
clandestine où les agences de services secrets jouent un rôle
décisif. Bon nombre de groupes terroristes internationaux sont, à
l’origine, des activismes placés sous une fausse bannière.
D’autres prennent un tel statut par suite d’arrestations
coordonnées, d’assassinats ou de noyautage par les services
secrets. Même lorsqu’il existe une authentique organisation de
libération nationale, les services secrets ne manquent jamais de
créer des opérations sous fausse bannière, qu’ils font attribuer
à cette organisation, ni de commettre des atrocités en son nom afin
de l’isoler et la discréditer. Une nouvelle fois, la tromperie et
la dissimulation sont la règle.
Les
groupes terroristes soutenus par les Anglo-américains sont
intervenus un nombre incalculable de fois contre les nationalistes
progressistes du monde arabe et pour encourager leurs rivaux
intégristes islamiques. Le recrutement pour les groupes terroristes,
une fois qu’ils existent, est une autre histoire. La capacité de
recrutement est fortement influencée par la misère, la pauvreté et
l’oppression. À cet égard, il faut tenir compte de la relative
détresse économique et politique du monde arabe ainsi que de
certaines parties du monde économique en général. Nous y trouvons
les fruits de l’impérialisme, du colonialisme et du
néo-colonialisme. Le climat politique actuel du monde arabe ne peut
pas se comprendre comme le résultat de facteurs autochtones, comme
voudraient nous le faire croire des penseurs adeptes de la Kultur
d’Oswald Spengler tels que Samuel Huntington ou Bernard Lewis.
Ces spécialistes préfèrent oublier que le monde arabe tel qu’il
se présente à eux a été occupé, pillé et manipulé par deux
siècles d’interventions européennes, depuis la campagne d’Égypte
de Napoléon. Les néo-conservateurs tels que Lewis et Huntington
privilégient en outre une approche radicalement anti-historique
selon laquelle l’intégrisme islamique anti-occidental, surtout
dans ses émanations terroristes, va de soi. Or, tel n’est pas le
cas, comme nous allons tenter de le démontrer.
Il
faut bien comprendre que la politique étasunienne, à l’instar de
celle de l’empire britannique avant elle, favorise objectivement la
montée de l’intégrisme islamique. Cette expression peut recouvrir
beaucoup d’acceptions ; ici, nous la comprenons comme un régime
théocratique anti-occidental dans lequel le clergé islamique, les
mollahs, les imams et les ayatollahs, le cas échéant, jouent un
rôle prépondérant. N’oublions pas que, jusqu’au démembrement
de l’empire ottoman par les Britanniques et les Français au cours
de la 1re guerre mondiale, la plupart des pays du Proche-Orient
étaient assujettis au sultan ottoman de Constantinople qui était,
en même temps, le calife de l’Islam. L’empire ottoman prétendait
appliquer le droit islamique, ou charia. Pendant des siècles, les
Britanniques soutinrent les petits groupes ethniques de l’empire
ottoman dans le but de les inciter à se rebeller contre le sultan.
Ainsi, les Britanniques commencèrent à travailler avec les Serbes
pendant la révolution américaine et aidèrent les Grecs à devenir
indépendants après les guerres napoléoniennes. Sous Lord
Palmerston, dans les années 1830 et 1840, les Britanniques lancèrent
l’idée d’une patrie pour les Juifs en Palestine. Au début,
cette idée ne séduisit pas les Juifs britanniques : on disait à
l’époque que Lord Rothschild voulait un siège à la Chambre des
Lords et pas sous un palmier en Palestine. Plus tard, les
Britanniques développèrent leur présence parmi les Coptes, les
Arméniens et d’autres communautés. Les Français se posèrent en
protecteurs des Chrétiens levantins et devinrent les défenseurs des
Maronites au Liban.
Pendant
ces années, le Bureau arabe britannique et le Bureau britannique
pour l’Inde étudièrent soigneusement la psychologie et
l’idéologie arabes. Ils partirent de l’idée que les Arabes
deviendraient inéluctablement hostiles au colonialisme britannique
et qu’il était impossible de contrer une telle évolution.
Néanmoins, ces orientalistes conclurent aussi qu’il serait tout à
fait possible de fournir à l’inévitable révolte des Arabes des
idéologies synthétiques de nature à l’isoler, à la faire
avorter et à la rendre impuissante. Pour ce faire, il fallait de
toute évidence que cette révolte ne soit pas dirigée
spécifiquement contre les Britanniques, mais contre l’Occident et
l’Europe en général, de peur que les Arabes ne soient à même de
s’allier à la Russie ou à l’Allemagne pour se débarrasser de
la présence britannique. La tradition musulmane offrait la matière
première pour la fabrication d’une idéologie synthétique de
rejet de l’Occident à laquelle les idéologues les plus fantasques
des mondes arabe et islamique doivent beaucoup.
Quand
l’empire ottoman se rangea aux côtés des Allemands au cours de la
1re guerre mondiale, le colonel britannique T.E. Lawrence réussit à
inciter les Arabes du Hedjaz (actuellement Arabie Saoudite) à se
rebeller contre le sultan ottoman. Les Britanniques promirent que
toutes les terres arabes occupées par les Turcs ottomans leur
reviendraient quand la guerre serait gagnée. Mais, avec la
Déclaration de Balfour en 1917, les Britanniques promirent également
une partie de ce même territoire aux Juifs pour en faire leur
patrie. Pour ne pas arranger les choses, les Britanniques et les
Français se promirent de surcroît les uns aux autres une grande
partie de ces mêmes territoires en vertu de l’accord secret
Sykes-Picot.
Du
fait même qu’elle était impériale, la loi ottomane
n’encourageait pas le progrès intellectuel ou matériel, comme le
comprirent Eneas Silvius Piccolomini et Nicolas Cusanus dès la fin
du XVe siècle, au début de la domination ottomane. Les peuples
ottomans ne prirent part ni à la Réforme européenne ni aux guerres
de religions, notamment à la Guerre de Trente ans, qui fit
comprendre aux Européens que les solutions politiques et le non
recours à la guerre étaient préférables aux hécatombes et aux
massacres engagés par les factions religieuses doctrinaires. Le
développement économique ottoman prit lui aussi du retard par
rapport à l’Europe. Pour toutes ces raisons, il existe à l’heure
actuelle essentiellement 4 types de régimes possibles dans les
territoires jadis ottomans. À savoir :
1.
Les monarchies réactionnaires : cette variante fut celle
favorisée par les Britanniques à l’origine quand ils occupèrent
divers États arabes sous mandat de la Société des Nations après
1918. En liaison avec la dynastie des Saoud et les Hachémites, les
Britanniques instaurèrent la monarchie en
Égypte, en Arabie Saoudite, en Irak, en Syrie et en Jordanie. Ces
régimes, comme celui du roi Farouk d’Égypte, étaient en fait les
marionnettes corrompues des impérialistes qui ne souhaitaient pas
faire progresser leur pays mais plutôt amasser des richesses
personnelles. En Arabie Saoudite, par exemple, l’esclavage est
resté légal jusqu’en 1965 et a été encore largement pratiqué
après cette date, surtout dans les ménages.
L’esclavage
domestique reste courant dans les émirats du Golfe et se retrouve
même dans les pages locales des journaux de Washington chaque fois
qu’un diplomate du Golfe vient en en mission avec un ou deux de ses
esclaves. L’ironie veut que l’esclavage a été aboli au Koweit
grâce à l’invasion irakienne
de 1990 et a été rétabli à la faveur de l’opération Tempête
du désert de Bush en 1991 (Tarpley, 1996). La plupart des monarchies
arabes ont été renversées, mais la monarchie demeure au Maroc, en
Arabie Saoudite, en Jordanie et dans les micro-principautés du
Golfe. L’Iran, bien que non arabe, a été dirigé par un empereur
jusqu’en 1979. Il est clair que ces régimes ne sont pas favorables
au développement économique ni au progrès des pays en général.
2.
Les régimes nationalistes en voie de modernisation : il peut
s’agir de républiques démocratiques, mais plutôt de
gouvernements militaires éventuellement susceptibles d’évoluer
vers une forme plébiscitaire de démocratie. Ils peuvent se dénommer
eux-mêmes socialistes arabes, comme Nasser. Le meilleur espoir
qu’ont les Arabes de rattraper les régions du monde les plus
avancées en termes de progrès scientifique et technologique est
offert par les régimes nationalistes dont le programme
inclut le développement économique et la
modernisation. Le meilleur exemple
en est celui de Mustafa Kemal Atatürk qui créa la première
épublique permanente en Asie, la République turque de 1923.
Rejetant le sultanat et le califat au profit de la nation turque,
Kemal introduisit la séparation de la religion et de l’État,
faisant ainsi de la Turquie une république moderne et laïque. Il
remplaça l’écriture arabe par l’alphabet latin, interdit le
voile pour les femmes et le fez pour les hommes et encouragea le port
du chapeau européen considéré comme un « couvre-chef civilisé. »
Il découragea l’existence de harems et donna aux femmes le droit
de voter et d’occuper des postes publics. Atatürk fit adopter le
calendrier grégorien, le système métrique et les noms de famille.
Un plan quinquennal dirigiste pour le développement économique fut
introduit en 1933.
Le droit public fut basé sur les codes civil et pénal européens et
non plus sur la charia. Atatürk considérait que la religion devait
être une question strictement personnelle et privée ; il toléra
donc toutes les religions. Il faudrait mettre Atatürk en tête de la
liste des créateurs de nations et des modernisateurs du XXe siècle
(ou en tout cas parmi les premiers). Entre autres, il aida la Turquie
à être la seule puissance vaincue de la 1re guerre mondiale à
échapper à un régime fasciste.
Rétrospectivement,
s’il y avait une seule expérience dans le monde musulman que les
États-Unis auraient dû aider, cela aurait dû être celle
d’Atatürk. Si ses idées avaient été plus largement répandues,
on ne parlerait pas aujourd’hui de clash des civilisations. Face à
des résultats aussi impressionnants,
comment les Alliés de la 2e guerre mondiale, États-Unis compris,
traitèrent-ils Kemal Atatürk ? Ils essayèrent par tous les moyens
de le renverser, de l’isoler et de diviser la Turquie en une série
de petits États. Si la paix de Paris en 1919 et le Traité de
Versailles avec l’Allemagne
étaient mauvais, le Traité de Sèvres imposé à la Turquie fut un
acte dément et grotesque. C’était manifestement une paix destinée
à mettre à jamais fin à la paix. La Turquie devait être divisée
en zones d’occupations française, italienne et grecque ; le
Bosphore et les Dardanelles étaient occupés par les Britanniques et
les Français. Il y eut une tentative de créer une Arménie
indépendante en Anatolie de l’Est. Les Britanniques et les
Français essayèrent même d’inciter les États-Unis à s’emparer
d’un morceau de Turquie mais, à l’époque, les Américains
furent assez sages pour refuser. Ce fut une bonne idée car Atatürk
était capable de battre les armées lancées contre lui par les
Alliés ; il était capable de garantir l’indépendance et
l’intégrité territoriale de son pays. Le sort brutal qu’il
réserva aux Grecs et aux Arméniens, qui étaient du côté des
Alliés, doit être replacé dans ce contexte. Mustafa Kemal ne fut
pas le premier dans son genre, cet honneur est dévolu à Mohamed Ali
Pacha d’Égypte, un général à l’ambitieux programme
d’industrialisation et de réformes qui annexa également la Syrie
en 1839, présageant la République arabe unie de Nasser.
3.
Les dictatures héréditaires : Celles-ci sont apparues à la
suite de la chute des monarchies ; parfois, elles prennent aussi la
forme dégénérée d’un État nationaliste et modernisateur. Les
exemples types en sont le régime de Hafez el-Assad et de son fils en
Syrie après 1963 et, sans aucun doute,
celui de Saddam Hussein en Irak, le premier étant de loin le plus
odieux. Hafez el-Assad a dirigé un État policier meurtrier et
envahissant où la minorité allaouite dominait une majorité
mécontente. Pourtant, il a toujours été le chouchou de New York et
de Londres : Kissinger a déclaré un jour qu’il espérait que Dieu
lui pardonnerait mais qu’il y aurait toujours une petite place dans
son cœur pour Hafez el-Assad. Les régimes de Hosni Moubarak en
Égypte et de l’inconstant Kadhafi en Libye sont à classer dans
cette catégorie.
4.
Les théocraties intégristes : Le meilleur exemple en est
l’Iran, ce qui est suffisant pour montrer que ce genre de régime
ne peut pas être efficace pour assurer le développement national
dans le climat hostile de la mondialisation. En 1978, le directeur de
la Sécurité nationale de Carter, Zbigniew Brzezinski, désireux de
se venger du soutien soviétique au Vietnam du Nord, se laissa
convaincre par les arabisants et orientalistes britanniques que
l’intégrisme islamique pouvait être utilisé pour déstabiliser
les 5 grandes républiques d’Asie Centrale à majorité musulmane
de l’URSS : le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, la
Khirguizie et le Turkménistan. Cette stratégie pouvait également
être employée pour faire voler en éclats le labyrinthe ethnique du
Caucase et de la Trans-Caucasie, notamment en Tchétchénie. De cette
manière, affirmait Brzezinski, l’intégrisme islamique pourrait
devenir le « rempart ultime contre le communisme. » Afin d’avoir
un centre puissant à partir duquel irradierait cette nouvelle
idéologie, Brzezinski et Carter fomentèrent une pseudo-révolution
typique de la CIA, du style « le peuple au pouvoir », cette fois
avec des nuances d’intégrisme islamique, afin de renverser le Shah
d’Iran en 1979. Sur le plan personnel, le Shah était un monstre à
plusieurs titres ; la Savak n’avait rien à envier aux polices
secrètes les plus meurtrières au monde. Toutefois, le Shah faisait
venir des entreprises de construction européennes pour créer des
infrastructures et des villes entièrement nouvelles. Citons en
exemple la gigantesque opération de construction à Bandar Abbas
(aujourd’hui Bandar Khomeini) par l’entreprise de génie civil
Condotte d’Acqua sous Loris Corbi. Mais comme le Shah ne tolérait
aucune activité politique libre, il n’avait aucun parti populaire
derrière lui. L’instrument choisi pour le renverser fut
l’Ayatollah Khomeini, un personnage ignorant d’une noirceur
ineffable, pire que Savonarole. Ne nous leurrons pas : Brzezinski fit
tout pour renverser le Shah et pour s’assurer ensuite qu’aucun
politicien laïc, tel que Shapour Bakhtiar, ne prenne le pouvoir. Le
général de l’armée de l’Air américaine,
Robert Huyser, de l’état-major de Haig à l’OTAN, fut envoyé en
Iran avec le message que seul Khomeini serait accepté par les
États-Unis (Dreyfus et La Levée, p. 50-53). L’ascension de
Khomeini représenta une innovation dans l’histoire récente du
Moyen-Orient : l’Iran devint une théocratie
de religieux et de mollahs, financée par de riches marchands du
bazar et leurs intérêts. L’avènement de Khomeini signifia le
gel, voire la régression, du développement économique et culturel
de l’Iran pendant plus de vingt ans. Mais l’Iran de Khomeini
devint un centre de propagation de l’idéologie intégriste
islamique, exactement comme Brzezinski l’avait souhaité, même si
ceux qui en payèrent le prix ne furent pas uniquement les
Soviétiques. Bientôt, les services secrets anglo-américains purent
monter l’Irak contre l’Iran dans la guerre des années 1980 qui
dura 8 longues années et ruina encore plus les deux pays. Les
Israéliens furent si satisfaits de cette guerre (où les mollahs
iraniens lançaient des assauts suicides d’enfants contre les
positions irakiennes fortifiées) qu’ils auraient préféré
qu’elle ne se termine jamais.
En
dépit des sottises proférées par les néo-conservateurs sur la
démocratie, et ce qu’on appelle l’initiative de Bush pour le
Proche-Orient, les États-Unis n’ont jamais eu de plan sérieux
pour instaurer la démocratie en Irak. Pour commencer,
on ne peut pas sérieusement qualifier les États-Unis de démocratie ;
les États-Unis ont toujours été et sont encore une oligarchie selon la
définition de Platon : « constitution où grouillent beaucoup de maux…
basée sur la propriété… où les riches détiennent tous les postes et d’où
les pauvres sont exclus », un système qui favorise « les membres d’une
classe dirigeante, l’oligarchie » (La République, p. 544c, 550c, 545a). À n’en pas douter,
le régime instauré par les États-Unis en Irak au printemps de 2003
était une… oligarchie composée de 25 oligarques fantoches triés
sur le volet et dotés d’une présidence tournante faible. Ces
arrangements ont été repris lors du prétendu rétablissement de la
souveraineté de l’Irak. L’intervention des États-Unis en Russie
post-communiste a favorisé de la même manière la domination
oligarchique à travers la coterie Eltsine. À l’heure actuelle, la
base matérielle
et économique permettant d’établir une démocratie à
l’occidentale en Irak est sans doute insuffisante, même s’il est
vrai qu’elle pourrait apparaître après plusieurs années de
reconstruction économique. Mais en tout état de cause, il est clair
que les États-Unis, dans leur constitution actuelle, ne sont plus
une puissance progressiste sur la scène mondiale, ce qui n’a pas
toujours été le cas dans le passé.
Le
secret de Polichinelle du monde après 1945 est que les États-Unis
et les autres pays de l’OTAN se sont systématiquement et
implacablement opposés au scénario raisonnable du nationalisme
laïque modernisateur dans les pays arabes et islamiques, tout en
favorisant l’alternative intégriste, de préférence aussi
ignorante que possible. Les nationalistes laïques modernistes sont
de loin les adversaires les plus efficaces de l’impérialisme : ils
ont le potentiel de réaliser des progrès politiques, diplomatiques
et culturels pour leur pays. Les théocrates réactionnaires sont
plus faciles à isoler car leur séduction est plus limitée. Dans la
pratique, Washington et Londres ont toujours encouragé la montée
des intégristes tout en tentant d’éliminer les nationalistes
modernistes.
Ajoutons
que si des personnages intégristes tels que l’Ayatollah Khomeini
étaient funestes à de nombreux titres, il existe aujourd’hui des
personnalités qui se disent islamistes et sont parfaitement
raisonnables, par exemple Adel Hussein en Égypte ou Hassan Tourabi
au Soudan. On semble trouver chez eux comme l’écho de l’impulsion
progressiste des années 1950-1960, exprimée aujourd’hui dans
l’idiome islamique dominant. De façon significative, ces individus
sont sans cesse vilipendés et pris pour cibles par les impérialistes
de tout poil. Si des politiques raisonnables devaient un jour
réapparaître en Occident, les islamistes modérés n’auraient pas
de mal à trouver des modes de coopération.
En
dépit de l’hostilité anglo-américaine, les dirigeants arabes du
style de Nasser avaient une certaine marge de manœuvre tant que les
Soviétiques offraient une sorte d’alternative à Washington et
Londres. Mais quand l’URSS périclita pour finir par se
désintégrer, cette marge rétrécit de plus en plus et disparut
définitivement en 1991, date à laquelle les Soviétiques ne purent
rien faire pour leur ancien allié, l’Irak.
L’Iran
: À la suite de la 2e guerre mondiale, la première tentative
d’instaurer un nationalisme progressiste à la Mustafa Kemal
survint à l’ascension du Premier ministre Mossadegh en
Iran. Le programme de Mossadegh se concentra sur la nationalisation,
en 1951, de l’Anglo-Iranian Oil Company, connue de nos jours sous
le nom de BP. Avec la fin du protectorat britannique en Iran, la
toute jeune CIA d’Allen Dulles et Kermit Roosevelt organisa un coup
d’État contre Mossadegh suivi du rétablissement de la mainmise
impérialiste sur le pétrole iranien et d’une ère réactionnaire
sous le Shah.
L’Égypte
: En 1952, un groupe d’officiers nationalistes détrôna le roi
Farouk, notoirement inepte et corrompu. Un coup d’État de jeunes
officiers porta au pouvoir le colonel Gamal Abdel Nasser. Le
programme nationaliste progressiste de Nasser commença par
l’expulsion des Britanniques et se poursuivit avec la
nationalisation du canal de Suez, les sommes récoltées par les
droits de passage étant destinées à financer la construction du
barrage d’Assouan sur le Nil. Le projet d’Assouan était indispensable
pour la régulation des crues et pour l’énergie hydroélectrique,
sur le modèle de la Tennessee Valley Authority de Franklin D.
Roosevelt. Après le départ des Britanniques, Nasser s’empara en
fanfare du canal et devint un héros national. Il se heurta aussitôt
au Premier ministre Sir Anthony Eden et aux frères Dulles et devint
bientôt la cible d’une intrigue anglo-franco-israélienne : Israël
allait lancer une attaque surprise dans le Sinaï et les forces
d’intervention anglo-françaises reprendraient le canal sous
prétexte de rétablir l’ordre. Cette conspiration grossière mena
à la crise d’octobre/novembre 1956 et fut considérée par le
Président Eisenhower comme un affront personnel. L’URSS ayant
envoyé un unique ultimatum nucléaire aux Anglo-Français, menaçant
Londres et Paris de destruction atomique, les États-Unis
s’associèrent à l’URSS au Conseil de sécurité de l’ONU pour
voter contre les impérialistes Anglo-Français à l’ancienne mode
et leurs auxiliaires israéliens. La position des États-Unis au
Proche-Orient après 1956 s’appuya sur la large sympathie conquise
par Washington qui avait ainsi torpillé l’aventure impérialiste
britannique et française. Malheureusement, ce capital-amitié fut
totalement dilapidé dans les décennies suivantes, où les
États-Unis jouèrent, à leur tour, le rôle d’oppresseur
impérialiste n° 1 des États arabes. Mais en 1956, l’Égypte
de Nasser était manifestement devenue le chef de file des États
arabes et le noyau d’une tentative de réunification du monde arabe
sous la forme d’une République Arabe Unie, à laquelle se
joignirent la Syrie et le Yémen, et vers laquelle l’Irak sembla un
moment se rapprocher. Nasser utilisa sa radio, la Voix des Arabes,
pour condamner la monarchie saoudienne pour sa pratique de
l’esclavage mobilier, particulièrement de Noirs africains.
L’Égypte fut la cible d’une autre attaque surprise d’Israël,
la Guerre des Six Jours de juin 1967. Elle ne fut pas capable de
prendre sa revanche lors de la Guerre du Kippour de 1973 orchestrée
par Kissinger. Quant à Nasser, il fut impitoyablement traqué
jusqu’à sa mort en 1970. Il fut remplacé par Sadate qui expulsa
les conseillers soviétiques que Nasser avait fait venir. Mais même
Sadate se montra trop nationaliste pour les Anglo-américains : il
fut assassiné en 1980 par un groupe parmi lequel on trouvait
al-Zawahiri, réputé être actuellement le bras droit et le médecin
personnel de ben Laden. Malgré son rôle dans l’assassinat de
Sadate, Zawahiri put vivre ouvertement à Londres pendant des années.
Cela laisse penser qu’il est bel et bien un agent du MI-6.
L’Irak
: Quand les Britanniques prirent le contrôle de l’Irak en
1919, ils y instaurèrent la monarchie réactionnaire des Hachémites.
En 1958, le monarque fantoche Fayçal fut assassiné. Le général
Kassem devint Premier ministre et lança un programme de
réformes qui comprenait la constitution progressiste de 1959. Cette
constitution et les autres lois de l’époque de Kassem imposèrent
l’alphabétisation, abolirent l’esclavage et garantirent aux
femmes l’égalité des droits. L’impact de ces réformes fut
durable. Pour ne citer qu’un exemple, au milieu des années 1970,
l’Irak était représenté à Rome par l’ambassadrice Selima
Bakir, une femme extrêmement intelligente. Comme tout bon
nationaliste, Kassem décida que le Koweit faisait partie intégrante
de l’Irak. Il avait raison sur ce point, car le Koweit avait été
illégalement détaché de l’empire ottoman par les Britanniques en
1899 pour empêcher que le chemin de fer Berlin-Bagdad, financé par
les Allemands, ne puisse atteindre l’extrémité du Golfe. En 1962,
les Britanniques fomentèrent une révolte des Kurdes du clan Barzani
et Kassem fut assassiné en 1963 par la CIA. Lorsque Kassem fut
remplacé par Saddam Hussein, à l’époque pion de la CIA, les
chances de développement de l’Irak furent fortement restreintes.
Les aspects positifs de l’Irak sous Saddam Hussein étaient dans
une large mesure le legs de Kassem.
Le
Pakistan : La grande chance de modernisation du Pakistan se
présenta sous Ali Bhutto au milieu des années 1970. Bhutto
était décidé à mettre son pays à la pointe de la technologie
moderne avec un programme nucléaire pacifique dans la tradition
d’Eisenhower et de « l’atome pour la paix. » Il ne tarda pas à
trouver sur son chemin Kissinger, qui le menaça d’en faire un
terrible exemple s’il n’abandonnait pas ses projets ambitieux.
Peu après, Bhutto fut renversé par le coup d’État du général
Zia ul Haq, soutenu par les États-Unis. Bhutto, sous le coup de
diverses accusations, fut pendu par le nouveau régime, conformément
aux menaces de Kissinger. Plus tard, sa femme et ses enfants se
réfugièrent en Allemagne de l’Ouest. Les tendances intégristes
proliférèrent depuis sa mort.
Le
Kosovo : Quand la République Fédérale de Yougoslavie commença
à se désintégrer en 1991, la population albanaise musulmane du
Kosovo, sous la direction du parti laïc nationaliste LDK, réagit
par une auto-administration efficace et non-violente qui lui permit
de défier les occupants serbes jusqu’à la fin des années 1990.
Mettant en pratique la résistance passive, les Kosovars créèrent
leur propre gouvernement parallèle, avec leur propre système
scolaire, leurs élections distinctes, leur système
de santé publique et leur réseau parallèle d’entreprises. Le
chef de cet effort remarquable était Ibrahim Rugova qui
effectua pèlerinage sur pèlerinage à Washington dans les années
90, portant toujours l’écharpe parisienne de soie rouge qui le
caractérisait. Mais les États-Unis ne voulurent jamais lever le
petit doigt pour Rugova et le très raisonnable LDK. Quand la
Slovénie, la Croatie et la Bosnie se séparèrent de la Yougoslavie
dominée par les Serbes, Rugova hésita : les Kosovars, contrairement
aux autres, n’avaient pas d’armes et les États-Unis ne leur en
avaient jamais fourni. En 1997, l’Albanie voisine, avec qui les
Kosovars voulaient se réunir, se désintégra à la suite de
l’effondrement d’une escroquerie spéculative. Lors de la
désagrégation de l’État albanais, ses dépôts d’armes furent
pillés et celles-ci prirent rapidement le chemin du Kosovo. Cela permit
la constitution de l’Armée de libération du Kosovo (KLA),
ensemble douteux composé de trafiquants de drogue, d’intégristes
islamistes, kosovars ou non, et de terroristes purs et durs. Les
conflits s’intensifiant entre la police serbe et la KLA, les Serbes
se mirent à se comporter comme n’importe quel occupant, et les
atrocités de part et d’autre devinrent monnaie courante. Cette
fois, les États-Unis, en la personne de Madeleine Albright,
apportèrent leur soutien direct aux terroristes de la KLA. À partir
de mars 1999, les États-Unis et l’OTAN entamèrent une campagne
criminelle de 78 jours de bombardements contre la Serbie. Ce fut l’un
des grands actes de vandalisme international de la fin du XXe siècle.
Le tout, pour soutenir les revendications liées à la KLA. Quant à
Rugova et au LDK, ils furent écrasés et les États-Unis devinrent
de plus en plus tributaires de la KLA.
Afghanistan
: Dans les années 50, sous le règne du roi Mohammed Zahir Shah
qui était monté sur le trône en 1933, le pays avançait peu à peu
sur le chemin de la modernisation. Le développement de l’Afghanistan
a toujours dépendu de la construction, jamais terminée, d’un
vaste complexe hydroélectrique
au centre du pays. Le roi fut déposé en 1973. Vers 1978, on vit
émerger le régime progressiste de Noor Mohammed Taraki,
poète et romancier pro-marxiste aux talents très particuliers.
Taraki légalisa les syndicats, instaura un salaire minimal, soutint
le logement, les services publics de santé et d’assainissement. Il
encouragea des améliorations au statut des femmes et essaya
d’éradiquer la culture du pavot qui faisait de son pays le premier
producteur mondial d’héroïne. Il effaça également les dettes
des agriculteurs, y compris des métayers, et entama des réformes
agraires pour briser la mainmise des propriétaires absents et des
latifundistes. Taraki toucha donc aux intérêts féodaux, très
puissants dans le pays. Brzezinski, qui pensait que Taraki était un
pion des Soviétiques, se vanta plus tard auprès du Nouvel Observateur qu’en 1979, des équipes de déstabilisation
étasuniennes avaient lancé une opération clandestine contre Taraki
en jouant principalement la carte de l’intégrisme islamique. Cela
fut suivi en septembre 1979 d’un coup d’État soutenu par les
États-Unis et fomenté par Hafizulla Amin, agent de la CIA, qui
exécuta Taraki et annula ses réformes au nom de l’instauration
d’un État islamique au service des propriétaires terriens
féodaux. Les mesures réactionnaires d’Amin provoquèrent un
retour de flamme contre lui et il fut renversé à son tour 2 mois
plus tard. Face aux assauts répétés des moujhahidin «
pavot-culteurs » de Brzezinski, les Soviétiques envahirent
l’Afghanistan à Noël 1979. Dans les différentes phases de la
guerre d’Afghanistan qui suivit, la CIA ne cessa jamais de soutenir
les factions les plus incultes, les plus réactionnaires et les plus
favorables à la culture de l’opium, en particulier celle de leur
favori : Gülbuddin Hekmatyar.
La
CIA recherchait des forces d’une négativité absolue qui s’isolent
elles-mêmes, incapables de s’entendre avec l’Iran ni avec
quiconque. Au cours des 10 années de guerre qui suivirent (décembre
1979-février 1989), l’Afghanistan fut économiquement et
démographiquement anéanti. La 2e génération des moudjahidin de
Brzezinski (étudiants islamiques intégristes ou talibans) prit le
pouvoir en 1994. Comme Pol Pot au Cambodge à la suite des
bombardements destructeurs de Kissinger dans les années 1970, les
talibans instaurèrent une régression inqualifiable vers la
barbarie. Mais tout comme Kissinger et G.H.W. Bush avaient soutenu
Pol Pot, l’administration Bush trouva de nombreuses manières de
soutenir les talibans qui étaient très bien vus en raison de leur
incapacité à s’allier à l’Iran ou à la moindre république
ex-soviétique d’Asie centrale. Comme le souligne Michael Parenti,
en 1999, les salaires de l’ensemble du gouvernement talibans
étaient payés par les contribuables américains (Parenti, p. 65).
Sous Bush, ce soutien devint encore plus explicite : les lobbyistes
d’Unocal proposèrent aux talibans un marché en vue de construire
leur oléoduc vers l’Asie centrale. Au cours de cette phase,
Kissinger, le néo-conservateur Zalmay Khalilzad, le fonctionnaire
antiterroriste du Département d’État à la retraite Robert Oakly
et Leila Helms (fille de l’ancien directeur de la CIA) menèrent
des efforts de lobbying couronnés
de succès au profit d’Unocal.
Le
but du jeu était que les talibans ne figurent pas sur la liste des
terroristes du Département d’État, ce qui aurait bloqué la
construction de l’oléoduc. Au cours du premier printemps de son
mandat, Bush offrit une importante subvention aux talibans. Cela
poussa le chroniqueur Robert Scheer à faire observer : « Mettez vos
filles et vos femmes en esclavage, accueillez des terroristes
anti-américains, détruisez tout vestige de civilisation dans votre
pays et l’administration Bush vous aimera de tout son cœur. Tel
est le message que comporte le cadeau récent de 43 millions de
dollars fait aux dirigeants talibans d’Afghanistan. Ce cadeau…
place les États-Unis en première place dans la liste des sponsors
des talibans » (« Le pacte faustien de Bush avec les talibans »,
Los Angeles Times, 22 mai 2001).
La
Palestine : À la suite de l’occupation par Israël de la
Cisjordanie, de la bande de Gaza et de la péninsule du Sinaï en
juin 1967, les Israéliens se retrouvèrent avec quelque 2 millions
de Palestiniens à gouverner. Le système des Nations Unies interdit
d’annexer des territoires conquis militairement
sans l’aval du Conseil de sécurité, aval qui, en l’occurrence,
fut refusé. Au contraire, le Conseil de sécurité vota la
résolution 242 demandant à Israël de se retirer jusqu’aux
frontières internationalement reconnues de juin 1967. Pendant la
course à la guerre d’Irak, les porte parole de Bush accusèrent
l’Irak d’avoir violé quelque 17 résolutions du Conseil de
sécurité des Nations Unies, oubliant fort à propos qu’Israël
était le champion en la matière puisque depuis 1967, ce pays viole
régulièrement pas moins de 30 résolutions sur les territoires
occupés. Mais les États-Unis n’ont jamais menacé d’appliquer
la force pour obliger Israël à les appliquer. En Palestine,
l’occupation israélienne fut opprimante et humiliante ; bientôt,
la résistance s’organisa avec l’Organisation de Libération de
la Palestine (OLP). Son chef était Yasser Arafat, un
nationaliste laïc plus ou moins de mouvance nassérienne. Comme
l’OLP n’avait presque pas d’armes et que la présence de
l’armée israélienne était dominante, les Palestiniens se mirent
à faire ce que les Juifs avaient fait entre 1945 et 1948 contre
l’occupation britannique sur le même territoire : ils lancèrent
une guérilla, aussitôt qualifiée de terrorisme par les occupants.
Israël refusa toujours de reconnaître l’existence du peuple
palestinien. La preuve du contraire ne tarda pas. Dès le début, le
Mossad s’employa activement à perpétrer des actes de provocation
en cherchant à les faire attribuer à l’OLP et à ses partisans.
C’est pourquoi on est en droit de douter de la paternité des
détournements d’avions et de l’attaque commise lors des Jeux
Olympiques de Munich en 1972. Plus ces attentats étaient horribles,
plus l’opinion publique condamnait l’OLP. Il ne fait pas de doute
que le Mossad contrôlait une partie du comité central de
l’organisation connue sous le nom d’Abou Nidal d’après le nom de guerre de son chef Sabri al-Banna. En 1978-1979,
l’organisation connue sous le nom de Hamas vit le jour dans les
territoires occupés, juste après le commencement de l’Intifada.
Le Hamas combina un fort engagement dans les services sociaux de
voisinage avec le refus de négocier avec Israël et la revendication
d’une solution militaire qui n’allait pas manquer d’être taxée
de terrorisme. Il est intéressant de noter que l’un des principaux
sponsors du Hamas était Ariel Sharon, ancien général, à l’époque
membre du cabinet ministériel.
Ces
faits sont largement admis : l’ambassadeur étasunien en Israël
Daniel Kurtzer, Juif pratiquant, déclara à la fin de l’année
2002 que le Hamas était né « avec le soutien tacite d’Israël »
parce que, vers la fin des années 80, « Israël avait cru qu’il
était préférable que les gens se tournent vers la religion plutôt
que vers une cause nationaliste » (Ha’aretz, 21 décembre
2001). À peu près au même moment, en Israël, lors d’un débat
acrimonieux au cabinet, le député extrémiste à la Knesset Silva Shalom
déclarait : « Entre le Hamas et Arafat, je choisis le Hamas…
Arafat est un terroriste déguisé en diplomate alors qu’on peut
frapper impitoyablement le Hamas » (Ha’aretz, 4 décembre
2001). Là-dessus, Shimon Peres et les autres ministres travaillistes
quittèrent la salle. Arafat fit connaître son propre point de vue :
« Le Hamas est une création d’Israël qui, à l’époque du
Premier ministre Shamir, lui a donné de l’argent et lui a offert
plus de 700 institutions dont des écoles, des universités et
des mosquées. Même Rabin [Premier ministre d’Israël] a fini par
l’admettre quand je l’en ai accusé en présence de Moubarak » (Corriere della Sera, 11 décembre 2001). Avec une arrogance
incroyable, les États-Unis déclarèrent qu’Arafat n’était pas
un partenaire de négociation acceptable. Cela revenait à choisir
effectivement le Hamas (ou pire), ce qui représentait un acte de
démence incommensurable pour Israël et pour les États-Unis
eux-mêmes.
La
liste pourrait s’allonger indéfiniment. Au Bangladesh, Kissinger
persécuta Sheikh Mujibour Rahman, de la Ligue Awami, principale
force nationaliste après l’indépendance au début des années
1970. Au Liban, Kissinger fit son possible pour détruire la
constitution multi-religieuse de 1947 et provoquer une guerre civile.
Plus tard, quand le général Aoun, Chrétien maronite mais surtout
nationaliste libanais, tenta de sauver l’indépendance de son pays,
il fut saboté par les États-Unis.
Le
revers de la médaille est le traitement brutal infligé aux
Européens désireux de conclure des transactions de développement
avec les d’États arabes, bien évidemment en vue d’avantages
mutuels. L’élimination d’Enrico Mattei, de la compagnie
pétrolière nationale italienne ENI, est un exemple bien connu de
cette politique. Le banquier allemand Jürgen Ponto voulait financer
des projets de développement dans le monde arabe et en Afrique ; il
fut liquidé en 1977 par la bande Baader-Meinhof, qui servait
évidemment de couverture à la CIA et au MI-6.
Le général de Gaulle survécut à une trentaine de tentatives d’assassinat, dues à des motivations multiples, mais parmi lesquelles figurait en bonne place la diplomatie pro-arabe du gouvernement français.
Le général de Gaulle survécut à une trentaine de tentatives d’assassinat, dues à des motivations multiples, mais parmi lesquelles figurait en bonne place la diplomatie pro-arabe du gouvernement français.
Vu
la persécution implacable des chefs nationalistes arabes par les
États-Unis et par l’OTAN, cette lignée a presque totalement
disparu de la scène. Devant le choix restreint offert par les
monarchies réactionnaires, telles que celle des Saoud, les
dictatures répressives dans le genre de celle d’Hafez el Assad, ou
les expériences d’islamisme intégriste, il n’est pas surprenant
que beaucoup de jeunes Arabes choisissent l’islamisme. Si cela ne
plaît pas aux puissances occidentales, il faut leur rappeler que ce
sont elles qui ont causé, par leur arrogance impérialiste, la
quasi-extinction du nationalisme progressiste.
Comme
je l’ai dit en 1994 dans mon discours à la Conférence
inter-religieuse à Khartoum (Soudan), le christianisme repose sur
deux grands commandements : aimer Dieu et aimer son prochain comme
soi-même. L’amour de Dieu est une question de foi, et il peut
s’avérer impossible de s’entendre sur les détails de ce
précepte. En revanche, un accord est éminemment possible sur la
deuxième partie de la proposition : la règle d’or de l’amour du
prochain. Dans le monde actuel, aimer son prochain se traduit par des
bonnes œuvres sous la forme de projets de développement économique
et infra-structurel à grande échelle, dans le but de mener à bien
tout ce qui n’a pas encore abouti depuis la fin de la 2e guerre
mondiale : assurer l’intégralité du progrès scientifique,
technique et économique des anciennes colonies du Tiers-monde.
Là-dessus, la charité chrétienne rejoint la solidarité sociale
musulmane, la bienveillance confucéenne, les impératifs semblables
du Bouddhisme et de l’Hindouisme ainsi que la bonne volonté des
citoyens laïcs.
Il
n’y a pas si longtemps, l’ONU célébrait les Décennies du
Développement, organisait de nombreuses conférences destinées à
échanger du pétrole contre du savoir-faire technologique et
engageait des efforts internationaux connexes pour promouvoir le
développement économique dans
le
monde. Aujourd’hui, tous ces efforts ont disparu. La seule chose
qui reste est la mondialisation, qui est en train de détruire les
mondes arabe et islamique tout comme elle détruit le reste de la
planète. Les penseurs au cerveau dérangé tels que Huntington,
Brzezinski ou Kissinger s’imaginent que
leur géopolitique rudimentaire défend intelligemment, et même
subtilement, les intérêts impérialistes des États-Unis. En
réalité, leur politique est suicidaire. Si l’on voulait dresser
la liste des politiques qui ont été bénéfiques pour les
États-Unis dans le passé, on obtiendrait ceci :
La
Doctrine Monroe : pour que les États-Unis s’imposent comme le
soutien au droit des petits pays à disposer librement des espaces
marins et comme des opposants à la colonisation européenne.
La
Charte Atlantique de 1941 : pour proposer que les 4 libertés
(liberté de parole, liberté de culte, droit de vivre sans peur et
droit d’être protégé du besoin) constituent la base du monde
d’après-guerre.
Les
accords de Bretton Woods de 1944-1971 : pour appliquer les
méthodes du New Deal à l’instauration du plus grand développement
économique jamais connu dans le monde.
Le
Plan Marshall de 1947 : pour fournir un modèle de reconstruction
à l’Europe ravagée par la guerre et empêcher la résurgence
d’une dépression économique aux États-Unis.
La
réaction des États-Unis à la crise de Suez en 1956 : pour
répudier la domination impérialiste sur le Proche-Orient et plaider
en faveur d’un traitement équitable des Arabes.
Ces
politiques ont largement contribué à accorder aux États-Unis une
position dominante dans le monde au cours du 3e quart du XXe siècle.
Les néo-conservateurs d’aujourd’hui et leurs compagnons de
voyage sont structurellement et caractériellement incapables de
proposer quoi que ce soit d’aussi efficace. Il faut une équipe
dirigeante nouvelle dans la foulée du réalignement des partis
attendu aux États-Unis. Bien sûr, ces politiques devront
s’accompagner de la création d’un d’État palestinien
indépendant et souverain en Cisjordanie et à Gaza, rendu viable par
un programme général de développement économique dont
bénéficieraient tous les d’États de la région, Israël compris.
D’ici
là, les États-Unis doivent abandonner leur hypocrisie en matière
de terrorisme : la politique israélienne d’assassinats ciblés
d’opposants, sans procès ni jugement, est l’essence même du
terrorisme parrainé par l’État, et cela restera vrai même si
cette politique est avalisée par Cheney. Les États-Unis ont fourni
à Israël pour 70 milliards de dollars d’armes, dont des F-16 et
des missiles qui servent à tuer des civils palestiniens en violation
directe du droit étasunien. Toute cette aide américaine devrait
plutôt servir de moyen de pression pour faire accepter à Israël la
solution des deux États. Ces démarches seraient éminemment utiles
pour paralyser le recrutement de terroristes.
Webster
G. Tarpley, La Terreur Fabriquée, Made in USA