« Sous
mon niqab » est un récit, écrit par Zeina, une jeune
française née en France, élevée au sein d’une famille musulmane
traditionnelle dans une banlieue banale. Pendant des années Zeina
s'est soumise. « Sous son niqab, elle avait peur de se
révolter. Hantise des coups, angoisse du déshonneur, terreur de
l'Enfer dont la menaçaient les « sœurs » de la mosquée
depuis qu'elle était enfant », précise Djéname Kareh Tager,
la mystérieuse journaliste qui a utilisé le témoignage de Zeina
pour faire paraître « Sous mon niqab. Je l'ai enlevé au péril de ma vie », livre salué par
la critique islamophobe.
Toutefois,
dans sa postface, Zeina écrit ceci :
« Un
jour, mon enfant était déjà au lit, j'ai eu envie de prier.
J'étais seule, j'ai éteint la télévision, j'ai
ressorti mon jilbab de l'armoire, je l'ai porté, j'ai prié. Par
décision personnelle, sans qu'on me le demande, sans qu'on m'y
force. Ce n'était pas une corvée, mais un besoin
: il me fallait remercier Allah pour Ses bienfaits, Le remercier
d'avoir toujours été à mes côtés, même quand je Le soupçonnais
de m'avoir tourné le dos. C'est ce que me disaient mes parents quand
j'étais au fond du gouffre, quand j'étais avec mon mari, à
l'époque je ne les croyais pas. Pourtant, combien ils avaient
raison! Après la prière, j'ai replié mon jilbab, j'ai remis mon
jean. J'ai prié le lendemain aussi : le matin avant d'aller au
travail, le soir pour compléter toutes les autres prières que je
n'avais pas effectuées durant la journée. Et tous les jours qui ont
suivi. J'ai prié comme une vraie croyante, observante de la lettre
du Coran qui nous dit clairement : La
ikraha fil din,
« Il n'y a pas de contrainte en religion ».
Pour
comprendre le besoin de Zeina de revêtir son jilbab, il ne faut pas oublier ce que représente le vêtement traditionnel :
«
Le turban — a dit le Prophète — est une frontière entre la foi
et l'incroyance », et encore : « Ma communauté ne déchoira pas
tant qu'elle portera des turbans »; on cite également les ahâdith
suivants « Au Jour du Jugement, l'homme recevra une lumière pour
chaque tour de turban (kawrah ) autour de sa tête »; « Portez des
turbans, car vous gagnerez ainsi en générosité. » Ce que nous
voulons relever ici, c'est que le turban est censé conférer au
croyant une sorte de gravité, de consécration et aussi d'humilité
majestueuse ; il le retranche des créatures chaotiques et dissipées,
— les « errants » (dâllûn) de la Fâtihah, — le fixe sur un
axe divin — la « voie droite » (eç-çirât el-mustaqîm) de la
même prière — et le destine ainsi à la contemplation; en un mot,
le turban s'oppose comme un poids céleste à tout ce qui est profane
et vain. Comme c'est la tête — le cerveau — qui est pour nous le
plan de notre choix entre le vrai et le faux, le durable et
l'éphémère, le réel et l'illusoire, le grave et le futile, c'est
elle qui doit porter la marque de ce choix; le symbole matériel est
censé renforcer la conscience spirituelle, comme c'est le cas, du
reste, de toute coiffure religieuse ou même de tout vêtement
liturgique ou simplement traditionnel. Le turban « enveloppe » en
quelque sorte la pensée, toujours prête à la dissipation, à
l'oubli et à l'infidélité ; il rappelle l'emprisonnement sacré de
la nature passionnelle et déifuge. La Loi coranique fait fonction de
rétablissement d'un équilibre primordial perdu, d'où ce hadîth :
« Portez des turbans et distinguez-vous par là des peuples («
déséquilibrés ») qui vous ont précédés. »
(La
haine du turban, comme celle du « romantique », du « pittoresque
», du « folklorique », s'explique par le fait que les mondes «
romantiques » sont précisément ceux où Dieu est encore
vraisemblable ; quand on veut abolir le Ciel, il est logique de
commencer par créer une ambiance qui fait apparaître les choses
spirituelles comme des corps étrangers ; pour pouvoir déclarer avec
succès que Dieu est irréel, il faut fabriquer autour de l'homme une
fausse réalité, qui sera forcément inhumaine, car seul l'inhumain
peut exclure Dieu. Ce dont il s'agit, c'est de fausser l'imagination,
donc de la tuer ; la mentalité moderne, c'est le plus prodigieux
manque d'imagination qui se puisse imaginer.)
Quelques
mots sur le voile de la femme musulmane s'imposent ici. L'Islam
tranche sévèrement entre le monde de l'homme et celui de la femme,
entre la collectivité totale et la famille qui en est le noyau, ou
entre la rue et le foyer, comme il tranche aussi entre la société
et l'individu et entre l'exotérisme et l'ésotérisme ; le foyer —
comme la femme qui l'incarne — a un caractère inviolable, donc
sacré. La femme incarne même d'une certaine façon l'ésotérisme
en raison de certains aspects de sa nature et de sa fonction ; la «
vérité ésotérique » — la haqîqah — est « sentie » comme
une réalité « féminine », comme c'est aussi le cas de la
barakah. Le voile et la réclusion de la femme sont du reste en
rapport avec la phase cyclique finale que nous vivons — et où les
passions et la malice dominent de plus en plus — et présentent une
certaine analogie avec l'interdiction du vin et le voilement des
mystères. »
Frithjof
Schuon